dijous, 20 d’agost del 2009

TRANSMETRE LA FE, AVUI

Sorprèn trobar a la biblioteca-online de l’Institut Lumen Vitae un text com aquest, provinent de la Illa Maurici. Les seves dificultats en la transmissió de la fe no són gaire diferents de les que tenim en altres latituds. Proposa per a la seva diòcesi el model catequètic de la «iniciació» i apunta una sèrie de camins per avançar en aquesta línia.


Mgr. Piat, Lettre Pastorale de Carême 2008
Chers frères et sœurs,
Avec vous, je suis témoin aujourd'hui de la détresse de nombreuses familles mauriciennes qui vivent une grande épreuve. Les parents ont à cœur de transmettre à leurs enfants les valeurs qui les habitent et les font vivre. Cependant, beaucoup de parents n'y arrivent pas et sont perturbés par l'abîme qui se creuse entre eux et leurs enfants. Ce n'est pas simplement la difficulté classique du « generation gap ». C'est plus profond.
Dans beaucoup de familles, quelle que soit leur culture ou leur religion, on rencontre le même phénomène d'une jeunesse qui, tout en ayant soif d'authenticité, est comme aspirée par l'attrait irrésistible d'une nouvelle culture mondialisée, qui les conduit à adopter un style de vie et de loisir étranger aux valeurs de leurs parents. Ceux-ci sont déroutés par les réactions et les exigences de leurs enfants. Ils sont souvent angoissés parce que démunis devant les comportements à risque où se laissent entraîner leurs enfants malgré les nombreuses mises en garde. Ils ont l'impression qu'ils ne parlent plus le même langage, qu'ils n'ont plus les mêmes repères. Cette difficulté n'est pas le fait de certains milieux seulement. Elle traverse l'ensemble de la société mauricienne.
En réalité, nous sommes devant un phénomène de rupture sociale qui touche le nerf principal de la culture : la transmission. D'où vient cette cassure ? Comment se situer ? Quels repères peuvent nous guider ?
Partageant les joies, les espoirs et les peines de la société mauricienne, l'Eglise se sent profondément concernée par ce qui se passe. Elle aussi est atteinte de plein fouet. Elle est touchée au cœur même de l'exercice de sa mission qui est de transmettre l'Evangile et les valeurs qui en découlent. Cette transmission est perturbée aujourd'hui dans sa dimension verticale lorsque des chrétiens adultes peinent à transmettre leur foi à la génération de jeunes qui monte. Elle est perturbée également dans sa dimension horizontale lorsque des chrétiens ont du mal à dialoguer avec leurs frères et sœurs d'autres traditions religieuses ou incroyants et à partager avec eux le trésor de  l'Evangile.
Que ce soit dans la société ou dans l'Eglise nous sommes aujourd'hui devant un défi de taille : transmettre les valeurs, transmettre la foi dans des circonstances de rupture sociale. C'est pourquoi dans cette lettre pastorale de Carême je vous propose d'y réfléchir et de chercher ensemble les moyens de relever le défi avec lucidité, courage, espérance et créativité.

Chapitre I

Le défi de transmettre des valeurs aujourd'hui

En observant la difficulté de la société mauricienne à transmettre aujourd'hui les valeurs qu'elle a héritées, on peut se demander si les courroies de transmission traditionnelles que sont l'école, la famille ou les religions ne sont pas, pour ainsi dire, en panne.
A l'école par exemple, l'indiscipline se répand et laisse bien des éducateurs démunis. Des éruptions sporadiques de violence et de vols dans l'espace scolaire, la circulation de la drogue et de la pornographie ainsi que des pratiques sexuelles débridées sont des signes préoccupants d'un certain dysfonctionnement. Que se passe-t-il vraiment ? Est-ce simplement des jeunes qui « s'éclatent » ? Ou est-ce aussi l'école elle-même qui n'est plus adaptée aux besoins des jeunes, et ne sait pas trouver des voies nouvelles de transmission et d'éducation ? Le taux élevé d'absentéisme, la forte proportion d'élèves qui échouent aux examens ou qui abandonnent l'école en cours de route sont des données qui font réfléchir.
Au sein des familles également le processus traditionnel de transmission est perturbé par des interférences qui pénètrent les maisons à travers les différents canaux médiatiques. Les valeurs que les parents essaient loyalement de transmettre ont souvent peu de prise sur leurs enfants.  Certains parents s'accrochent, se remettent en question, changent d'approche et obtiennent de beaux résultats. Malheureusement, beaucoup d'autres se sentent dépassés et abandonnent. Par ailleurs, des enfants laissés à eux-mêmes par des parents qui travaillent beaucoup, ou sont séparés, deviennent moins réceptifs aux valeurs. Exposés sans guide à la télévision et à une publicité omniprésente, ils sont plus vulnérables et se laissent attirer dans une spirale de consommation.
De leur côté, les religions ne sont pas épargnées non plus. Au  moins en ce qui concerne notre expérience dans l'Eglise Catholique, nous constatons que les rites religieux hérités d'anciennes traditions sont souvent peu parlants pour les jeunes. Au mieux ces rites sont pris comme du folklore ou des « happenings ». Beaucoup de jeunes ont du mal à comprendre la signification des récits fondateurs, ou le sens que les Livres Saints peuvent donner à leur vie. Ils restent souvent étrangers aux valeurs que leur tradition religieuse cherche à promouvoir. Ils s'ennuient et finissent par se retirer. Un déficit énorme de communication creuse un abîme entre plusieurs traditions religieuses et les jeunes.
Notre société baigne dans le nouvel océan de la mondialisation. Elle est imbibée de plus en plus d'une culture moderne éclatée qui ne fournit pas aux jeunes un enracinement fort dans une tradition, ni des directions capables de donner sens à leur vie. Tout va très vite. On se demande ce qui empêche la transmission de fonctionner dans ses lieux habituels. En fait, nous passons d'un type de civilisation à un autre.   Dans la civilisation de l'oralité et de l'écriture, que nous avons connue jusqu'à la première moitié du XXème siècle, la transmission des valeurs se faisait dans des espaces  restreints, protégés, (la famille, la paroisse, la mosquée, la Baitka, l'école). Là, des valeurs communes acceptées par la grande majorité étaient transmises par osmose, i.e., à travers un certain frottement quotidien entre générations. La vie sociale était réglée par des rites établis suivis par tous. Le rythme de vie avait une lenteur sage qui permettait une certaine assimilation.
Ce style de transmission a été profondément bouleversé par la révolution télévisuelle advenue subitement dans la 2e moitié du XXe siècle, et suivie de près par la révolution dite du « numérique ». Le progrès rapide et continu dans les technologies de l'information et de la communication, a déclenché une véritable révolution culturelle. La télévision, aujourd'hui omniprésente, exerce un attrait et une influence telle qu'on a pu parler de son rôle de parent et d'éducateur de substitution. L'internet nous a propulsés dans une espèce de galaxie où l'accès à l'information sur tous les sujets possibles et imaginables est désormais généralisé et immédiat. A travers les multiples interconnexions devenues possibles sur le « web », la communication de l'information s'ouvre sur l'infini. Personne ne peut plus contrôler l'accès à cette information tous azimuts où il y a du bon, du moins bon et du très dangereux.
Devant cette masse surabondante d'information et de propositions, il devient de plus en plus difficile de se repérer. Où trouver des critères sûrs pour évaluer ces différentes façons de penser,  ces différentes options morales, ces différents styles de vie proposés quotidiennement sur les écrans ? Le jugement nécessaire pour pouvoir faire des choix libres, est rendu d'autant plus difficile qu'une certaine culture de l'innovation et du progrès, très répandue au niveau des techniques, déteint sur la transmission des valeurs. Tout ce qui vient du passé a tendance à être dévalué, et toute innovation au niveau des comportements moraux est plus spontanément valorisée.
Au même moment la culture moderne promeut l'autonomie de la personne. Elle favorise le droit de devenir soi-même, de s'épanouir, de se forger des convictions personnelles. Mais ce droit revendiqué sans cesse devient un devoir difficile à porter. Car dans cette nouvelle galaxie du numérique, le monde devient complexe. Et cette complexité rend perplexe et même quelque fois peut désorienter. Quand une multiplicité de façons de vivre, de croire et de donner sens à sa vie est présentée aux jeunes pêle-mêle, comme autant d'options, toutes légitimes et d'égale valeur, il devient difficile de choisir quelle direction donner à sa vie, quelles valeurs prendre comme boussole. Beaucoup sont alors tentés de se contenter de faire des expériences, de tâtonner et de rester longtemps dans le provisoire.
Au sein de ce nouvel environnement culturel, le grand défi à relever reste celui de la transmission. Aucune société ne peut se dispenser de transmettre les valeurs dont elle est porteuse. Ce processus est vital pour l'humanisation des personnes et pour la cohésion de la société elle-même. Dans toutes les cultures, les savoirs, les savoir-faire, les savoir être essentiels à toute vie humaine, sont transmis de personne à personne, de génération à génération. Toutefois cette transmission ne se fait jamais sans tension. Le jeune qui fait l'apprentissage de sa culture, immergé dans son milieu, ne se contentera jamais d'être un simple appareil à enregistrer et à répéter. Il y aura toujours, au cours de son apprentissage, à la fois une part d'accueil de la tradition, et une part d'ouverture à la nouveauté. Tout en l'accueillant, il transforme la tradition culturelle qu'il reçoit. Selon les âges de la vie, et selon les contextes sociaux, la part de tradition et la part d'innovation peuvent varier. Mais il y aura toujours une certaine « crise » de la transmission.
« Le Prophète », de Khalil Gibran, en parlait déjà en 1923 : « Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont fils et filles du désir de Vie en lui-même. Ils viennent par vous mais non de vous, et bien qu'ils soient avec vous, ce n'est pas à vous qu'ils appartiennent. Vous pouvez leur donner votre amour mais non vos pensées, car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez loger leurs corps mais non leurs âmes, car leurs âmes habitent la demeure de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer de leur ressembler, mais n'essayez pas qu'ils vous ressemblent. Car la vie ne retourne pas en arrière ni se s'attarde à hier ».
Cependant, aujourd'hui, il ne s'agit pas simplement d'une crise classique de la transmission. Le défi est plus fort. On voit bien les valeurs qu'il faut transmettre. Mais on ne sait plus comment s'y prendre pour les transmettre. Ce qui manque c'est une pédagogie adaptée au nouveau contexte culturel lié à la mondialisation. Devant cet immense défi, nous pouvons nous sentir démunis. Mais notre société ne peut se résigner à cette situation de rupture dans la transmission. Notre responsabilité consiste à chercher une nouvelle méthode pour transmettre les valeurs. Pour être fidèles, nous devons être créatifs.

Chapitre II

Le défi de transmettre la foi aujourd'hui

L'Eglise, immergée dans la société mauricienne, n'est pas épargnée par l'impact de cette révolution culturelle. Alors que la transmission des valeurs fonctionne mal dans la société, dans l'Eglise aussi et pour les mêmes raisons, la transmission de la foi est mise à rude épreuve. L'Eglise ne doit pas esquiver la responsabilité de chercher elle aussi un mode de transmission de la foi plus adapté à une génération façonnée par la culture moderne et la civilisation du « numérique ».
Le défi pour l'Eglise surgit aussi du fait que sa situation dans la société mauricienne a changé radicalement à partir du moment où notre pays est passé d'un régime hérité de la « chrétienté française » à celui d'un Etat Laïc moderne. Ce régime  dit de « chrétienté » fut inscrit dans nos lois par le Concordat Napoléonien, et a prévalu chez nous jusqu'en 1968. Sous ce régime, l'espace public était largement occupé par la religion chrétienne. Par exemple, seules les Eglises Chrétiennes (l'Eglise Catholique, l'Eglise Anglicane et l'Eglise Presbytérienne) étaient reconnues par l'Etat. Seules des fêtes chrétiennes étaient proclamées congés publics. La foi se transmettait alors surtout par osmose dans un milieu familial porteur et dans un environnement social à l'unisson avec les valeurs et les pratiques de l'Eglise. La transmission reposait aussi sur un enseignement de la doctrine et de la morale qui justifiait ce qu'on avait imbibé en le pratiquant à différentes étapes de la vie.
Aujourd'hui l'Eglise vit dans une situation très différente. La religion chrétienne n'est plus la seule à être reconnue par l'Etat, ni la seule à occuper l'espace public. Selon les principes d'une saine laïcité qui ont cours dans notre République, l'Etat doit respecter chaque religion dans son droit à la liberté de culte et d'expression, mais il ne doit s'affilier à aucune religion. L'Etat est responsable de maintenir la neutralité de l'espace public.
Dans l'Etat laïc mauricien, les élites intellectuelles sont influencées par la sécularisation, un courant qui distille l'idée que la religion, dans une société moderne, devrait être confinée au domaine de la vie privée. La foi, ainsi privatisée, risque alors de devenir une foi marginalisée, qui, tout en étant professée dans l'intimité du cœur, est détachée de la vie sociale.
Mais dans l'Etat laïc mauricien, le peuple reste très religieux et ses différentes composantes ont tendance à s'identifier par la religion au sein de la société. Ainsi, l'espace public grouille de signes extérieurs religieux et de manifestations religieuses de toute sorte. Il y a une grande valeur dans le respect vécu à la base pour la religion de son voisin, et un côté sympathique dans les partages à l'occasion des fêtes religieuses. Mais l'accent mis souvent sur le côté rituel des manifestations religieuses risque d'entraîner un certain syncrétisme religieux sur le terrain.
Le défi pour l'Eglise à Maurice aujourd'hui est de transmettre la foi dans une société, où fourmille une diversité de croyances religieuses, de normes éthiques et de comportements humains. La difficulté de se déterminer au sein de ce pluralisme ambiant conduit souvent à un certain relativisme, qui pousse à croire que toutes les croyances se valent et qu'on peut se servir, comme à un buffet, en composant chacun son propre menu. D'autant plus qu'aujourd'hui la culture moderne favorise l'épanouissement de la personne, et nous fait passer insensiblement d'une « éthique du code », qui cherche à promouvoir la fidélité à des valeurs, à une « éthique de la construction de soi » qui pousse chaque individu à chercher d'abord son épanouissement.
Dans ce contexte, nombre d'adultes et de jeunes prennent leurs distances par rapport à l'Eglise. Ils se retirent sur la pointe des pieds, sans nécessairement se raccrocher à une autre institution religieuse. Cet individualisme moderne n'est pas nécessairement militant ou agressif. Il est plutôt indifférent. Il cache aussi souvent une certaine inquiétude, signe d'une soif spirituelle qu'il faut savoir déceler et respecter.
L'Eglise se rend compte que la façon traditionnelle de transmettre la foi qu'elle avait utilisée en des temps de « chrétienté » a peu de prise dans la société moderne. Cette situation de rupture est déstabilisante. Mais elle n'est pas nécessairement défavorable. Elle nous invite au contraire à remonter aux sources de la foi pour mieux saisir les exigences spirituelles d'une transmission vivante.
Ce défi était déjà la préoccupation centrale de notre Synode Diocésain. Dès sa première orientation, il nous recommandait de « donner priorité à l'annonce de Jésus Christ Ressuscité, unique sauveur, vivant au cœur du monde ». En précisant que cette annonce devrait « rejoindre les fidèles dans ce qu'ils sont et ce qu'ils vivent, et s'exprimer dans leur langage et leur culture. » (No. 21)

Chapitre III

Passer au « modèle initiatique »

Dans plusieurs pays de vieille tradition chrétienne, lorsque le régime de chrétienté s'est écroulé et que les méthodes traditionnelles de transmission de la foi n'ont plus fonctionné, les Eglises de ces pays ont alors cherché à s'inspirer d'un autre modèle de transmission de la foi, le modèle initiatique. Ce modèle était utilisé dans l'Eglise au cours des premiers siècles de son histoire, avant l'avènement du régime de chrétienté  sous l'Empereur Constantin, au 4ème siècle.
C'est à ce modèle initiatique que le Concile Vatican II fait allusion, dès 1965, quand il parle du renouvellement qu'il propose pour le catéchuménat : « Le catéchuménat n'est point un simple exposé des dogmes et des préceptes, mais une formation à la vie chrétienne intégrale, et un apprentissage mené de la façon qui convient (…). Les catéchumènes doivent donc être initiés comme il faut au mystère du salut et à la pratique des mœurs évangéliques (…) »(1). C'est de fait ce modèle qui a été choisi pour élaborer le nouveau « Rite d'Initiation Chrétienne des Adultes » publié après le Concile en 1972. C'est encore ce modèle que le Pape Jean Paul II suggère d'adopter pour les adultes déjà baptisés mais peu ou pas éduqués dans la foi, lorsqu'il dit d'eux qu'ils doivent être considérés comme « de vrais catéchumènes »(2).
3.1. Origine du modèle initiatique.
Ce modèle initiatique nous vient en fait de plus loin que l'Eglise des premiers siècles. Il a son origine dans « l'initiation tribale », c'est-à-dire, « la démarche par laquelle les sociétés traditionnelles d'Amérique, d'Océanie, d'Australie ou d'Afrique font passer une classe d'âge de l'enfance à l'âge adulte »(3).
Les anciens de ces tribus proposent aux jeunes un chemin programmé par la tradition, pour leur faire faire effectivement le passage à l'âge adulte. Ce passage  consiste à quitter la sécurité, la douceur et l'insouciance d'une enfance protégée, à dépasser ses peurs, pour arriver à tenir debout et à assumer les responsabilités qui conviennent à un adulte.
Pour faire ce passage, les jeunes sont mis à l'épreuve. Ils sont mis dans des situations difficiles auxquelles ils n'ont jamais été confrontés jusque là. Pour survivre, ils doivent faire leurs preuves. Ils apprennent en se jetant à l'eau, en se débattant dans une espèce de chaos, et en faisant appel à des ressources jusque là insoupçonnées chez eux.
S'ils réussissent enfin à « garder la tête hors de l'eau », ils en sortent grandis parce qu'ils ont été capables de vivre et de se débrouiller hors de la sécurité et de la protection de l'enfance.  Ils sont désormais reconnus aptes à assumer des responsabilités dans le groupe, et à se confronter aux défis de la vie adulte. Le chemin d'épreuves qui leur a été proposé, leur a permis d'habiter une nouvelle manière d'exister comme homme ou comme femme.
3.2 L'Eglise des premiers siècles choisit le modèle initiatique pour transmettre la foi.
C'est ce modèle initiatique que l'Eglise des premiers siècles a choisi d'utiliser pour transmettre la foi. Présente surtout dans le bassin méditerranéen, l'Eglise était alors structurée à partir de communautés relativement petites, fragiles et vulnérables. Elles étaient peu reconnues, perdues au milieu de grandes cités grouillantes d'activités commerciales, de manifestations religieuses et de discussions philosophiques.  Dans ce contexte l'Eglise n'était qu'une voix parmi beaucoup d'autres, une voix souvent dénigrée et quelque fois même persécutée.
A cette époque lorsque quelqu'un désirait se faire chrétien, l'Eglise lui proposait de faire un long chemin initiatique, programmé avec soin. C'était le chemin catéchuménal, qui devait lui permettre progressivement de faire le grand « passage pascal » à la suite du Christ. Ce passage consistait pour lui à quitter les fausses sécurités auxquelles il pouvait être attaché. Par exemple, il devait apprendre à vaincre sa peur des esprits, à renoncer aux pratiques rituelles auxquelles il avait recours pour se protéger, et commencer à faire confiance à Jésus Christ ressuscité, vainqueur de la mort. Ce passage consistait aussi à quitter la sécurité que lui procurait le sens d'appartenance à sa famille, à son clan, à sa tribu, vaincre ses appréhensions pour s'ouvrir à une appartenance plus large au sein de l'Eglise avec des frères et des sœurs de cultures et d'ethnies différentes. Le passage à faire l'appelait également à renoncer à la fausse sécurité que lui procurait l'attachement aux richesses, ou l'accaparement du pouvoir, à surmonter ses appréhensions pour s'ouvrir à un nouveau style de vie basé sur le partage et le service fraternel.
Pour faire ces différents passages, le catéchumène était mis à l'épreuve et devait faire ses preuves. Il était mis dans des situations où il devait choisir la confiance profonde en Jésus Christ. Le fait d'avoir à choisir entraînait pour lui de durs combats intérieurs. Un soutien fraternel était toujours disponible, mais personne ne pouvait faire ses choix à sa place. Il ne pouvait sortir vainqueur de l'épreuve qu'en se jetant à l'eau. Il expérimentait  alors à la fois le côté éprouvant des renoncements à faire, et la liberté intérieure que procurait la confiance en Jésus Christ.
En accédant à cette foi adulte, il était admis dans la communauté chrétienne comme membre à part entière. Il était aussi reconnu apte à continuer son chemin à la suite du Christ et capable de participer pleinement à la vie,  et à la mission de l'Eglise. 
3.3. Les raisons du modèle initiatique.
Ce modèle de transmission de la foi convenait tout à fait lorsqu'on s'adressait surtout aux adultes comme au temps de l'Eglise des premiers siècles. Par respect pour eux, il ne suffisait pas, pour les admettre dans l'Eglise, d'observer simplement les rites des sacrements d'initiation. Il était nécessaire de leur proposer au préalable un parcours d'initiation où ils seraient invités à passer progressivement à une foi adulte, libre et éprouvée. Cela était plus respectueux de leur liberté, car ils pouvaient alors prendre leur décision en connaissance de cause. Cela leur permettait aussi de vivre les sacrements d'initiation, non pas de manière extérieure et rituelle mais en communion intérieure avec la foi que ces sacrements exprimaient.
Ensuite, par fidélité à la nature de la foi elle-même, il convenait de ne pas se presser pour accueillir de nouveaux membres dans l'Eglise. Il fallait qu'on prenne le temps et les moyens pour faire découvrir la foi chrétienne non pas simplement comme un ensemble de dogmes, de rites et de principes moraux à accepter, mais plutôt comme une relation de confiance dans laquelle entrer. Non pas seulement de nouvelles connaissances à acquérir mais un nouveau choix de vie à faire à la suite d'une rencontre personnelle avec le Christ.
De plus, il fallait tenir compte aussi du caractère fragile et vulnérable des communautés chrétiennes de l'époque, vivant comme de petites minorités dans une société, souvent indifférente, et quelque fois hostile à leur égard. Dans un tel contexte l'Eglise avait la responsabilité de transmettre la foi de manière à ce que ceux et celles qui l'embrassaient puissent tenir « debout dans la foi », avec une colonne vertébrale spirituelle assez solide et assez souple pour pouvoir vivre et témoigner du Christ dans un milieu étranger à la foi. 
Enfin, le parcours proposé pour l'initiation chrétienne, permettait à l'adulte qui se présentait de découvrir peu à peu qu'au fond c'était Dieu lui même qui lui donnait part à sa vie, le faisait entrer dans sa famille. La pédagogie de l'initiation déployée par l'Eglise cherchait seulement à faciliter chez l'adulte la disposition à se laisser initier par Dieu. L'Eglise avait conscience de ne pouvoir ni contrôler, ni réguler cette initiation. Elle ne pouvait qu'en être le témoin émerveillé et reconnaissant.
3.4. Choisir le modèle initiatique à l'île Maurice aujourd'hui.
Eclairé par l'exemple de l'Eglise des premiers siècles, interpellé par l'enseignement du Concile Vatican II, et confirmé par l'expérience de plusieurs Eglises locales contemporaines en Afrique et en Europe, je sens que nous sommes appelés nous aussi à adopter le modèle initiatique pour transmettre la foi à l'île Maurice aujourd'hui. Il faudra bien peser les exigences spirituelles et pastorales que ce modèle entraîne pour notre Eglise. Il faudra aussi être créatif pour que ce modèle puisse se déployer chez nous de manière adaptée. Je pense aussi que l'approche initiatique peut beaucoup apporter pour la transmission des valeurs dans notre société. Car elle est une pédagogie de la décision et non de la connaissance. Et ce sont des hommes et des femmes capables de faire des choix libres dont notre société a besoin aujourd'hui.
3.4.1 Le modèle initiatique pour la transmission de la foi.
Dans un Etat laïc comme le nôtre où toutes les religions ont droit de cité, et dans une société pluraliste comme la nôtre où un relativisme ambiant pousse à croire que toutes les options se valent, la foi dite « traditionnelle », (parce qu'héritée de ses pères), ou la foi dite « sociologique », (parce que partagée par le clan ou le groupe culturel), ne tient plus.  Ce contexte nouveau peut être éprouvant. Mais il nous rappelle au moins une vérité fondamentale. C'est que personne ne naît chrétien, on doit le devenir. Et pour le devenir on doit faire un choix libre, un choix qui demande des renoncements, et qui conduit souvent à adopter un mode de vie qui va à contre courant. Le modèle initiatique répond aux besoins des personnes qui ont à faire de tels choix, précisément parce qu'il est une pédagogie qui s'adresse à leur liberté.
Il est clair que la pédagogie de l'initiation s'adresse surtout aux adultes.  Autant aux adultes qui demandent le baptême, qu'aux adultes déjà baptisés mais guère préparés à tenir debout dans la foi dans le contexte actuel, les chrétiens  « de corps », et pas encore « de cœur », comme disait Saint Augustin.
Si le modèle initiatique s'adresse surtout aux adultes, qu'en est-il de la transmission verticale de la foi d'une génération à une autre ?  La réponse est tout simplement qu'on ne peut pas transmettre la foi aux enfants et aux jeunes si les parents ne sont pas dans le coup d'une façon ou d'une autre. Souvent les catéchètes regrettent que le chemin fait par des enfants en catéchèse est stoppé ou freiné à la maison parce que des parents n'encouragent pas leurs enfants sur ce chemin. Nous connaissons tous la tristesse des églises qui se vident immédiatement après la confirmation.
Par contre, on voit tout de suite la différence lorsque des parents ont suivi des parcours de catéchèse d'adultes, dans un mouvement, dans une communauté de quartier, ou dans des rencontres proposées à l'occasion de la préparation de leurs enfants à la première communion. A partir de leur propre cheminement, ils commencent à découvrir la foi comme un choix personnel qui a des conséquences importantes dans leur vie. Ils sont alors capables de mieux comprendre leurs enfants, et de les soutenir dans leurs premiers pas sur leur chemin de foi. L'initiation des parents à une foi adulte, même si elle débute à peine, contribue de manière décisive, à créer les réseaux de familles croyantes, les communautés chrétiennes à la base, qui sont aujourd'hui des lieux incontournables pour assurer une authentique transmission de la foi aux enfants et aux jeunes. Déjà le Père Laval portait en lui cette intuition fondamentale lorsqu'il disait, « pour faire de bons enfants, il faut faire de bons parents ».
Le rôle prioritaire de l'Eglise institutionnelle (diocèse, paroisses, services, mouvements) est aujourd'hui d'aller à la rencontre des parents, de leur proposer un chemin d'initiation adulte à la foi, et ainsi de les « empower », les rendre capables d'assumer leur propre rôle d'initiateur auprès de leurs enfants. C'est là le sens profond de ce que nous demandait notre Synode diocésain, « Nous ne pouvons nous contenter d'accueillir et de répondre aux diverses demandes que les chrétiens nous présentent. Nous devons aller vers le peuple et rejoindre les personnes là où elles vivent. Que toutes les paroisses prennent comme axe pastoral prioritaire l'évangélisation dans leurs quartiers, par exemple, à travers des sessions d'éveil à la foi centrées sur Jésus Christ, revenant continuellement sur les éléments fondamentaux de la foi » (No.46)
3.4.2 Le modèle initiatique pour la transmission des valeurs
L'Eglise a la responsabilité de transmettre la foi non seulement verticalement, i.e. d'une génération à une autre, mais aussi horizontalement i.e. en partageant l'Evangile, dont elle est dépositaire avec les hommes et les femmes au milieu de qui elle vit. L'Evangile que l'Eglise a reçu est destiné à tous les hommes. Il projette une lumière très éclairante sur les questions que les hommes se posent, et sur les problèmes qu'ils rencontrent. C'est pourquoi les chrétiens n'ont pas le droit de garder cet Evangile sous le tapis. Ils ont la responsabilité de le partager, d'en témoigner pour qu'il éclaire le monde complexe de l'économie et de la politique, du travail et de la famille, des médias, de la culture et de l'éducation.
Ils doivent le partager dans le respect de la foi des autres. C'est pourquoi ce partage doit se faire toujours au sein d'un vrai dialogue, où chacun peut aborder librement les questions qui le préoccupent, partager sa manière de répondre ou de réagir, les espoirs et les angoisses qui l'habitent, et aussi la lumière que  sa propre foi peut apporter. Quand des personnes de foi différente prennent l'habitude de se rencontrer et de partager ainsi, cette pratique du dialogue peut être un tremplin formidable pour la transmission des valeurs dans une société.
Or, aujourd'hui à Maurice, plusieurs signes indiquent que beaucoup de valeurs traditionnellement admises ne sont pas respectées dans les familles, à l'école, dans le commerce, les affaires, l'administration, dans les rues de nos villes et de nos villages. Les Mauriciens de toutes religions s'inquiètent parce qu'ils se rendent bien compte que l'harmonie d'une société se fonde sur un engagement commun à vivre des valeurs fondamentales communes.
Devant un tel défi il ne suffit pas de répéter « ad nauseam » la liste des valeurs qu'il faut transmettre. La question ici n'est pas tellement « quelles valeurs transmettre ? », mais « comment transmettre ces valeurs ? ». C'est là que l'approche initiatique pourrait apporter une contribution intéressante. En tant que pédagogie de la décision, cette approche propose un chemin qui peut conduire des personnes à s'engager, à faire des choix libres. Un exemple simple de ce type d'approche, serait de proposer à des personnes de foi différente d'entreprendre un projet commun. A partir de là, chacun serait invité à mettre la main à la pâte pour que le projet entrepris incarne vraiment les valeurs communes qu'on veut promouvoir. De tels projets communs ont déjà été entrepris sous l'égide du Conseil des Religions  et avec le soutien de l'UNDP. Ils méritent vraiment d'être soutenus et multipliés.
L'approche initiatique convient pour la transmission des valeurs même si c'est surtout aux adultes qu'elle s'adresse, alors que la préoccupation majeure de notre société est dirigée plutôt vers les jeunes. Elle convient parce que les jeunes n'hériteront jamais de valeurs qui ne sont pas prises au sérieux par les adultes. Si les valeurs ont du mal à être transmises aux jeunes aujourd'hui, il faut que les adultes aussi s'interrogent sur leur propre fidélité aux valeurs qu'ils voudraient transmettre.
Un ami musulman, membre du Conseil des Religions, suggérait récemment qu'il serait très utile d'entreprendre un projet commun pour les parents des enfants d'une même école. Ils pourraient se retrouver avec les enseignants autour d'une même préoccupation : comment transmettre aujourd'hui. On pourrait leur proposer non pas des cours sur les valeurs, mais un parcours de nature initiatique, qui les aiderait à réfléchir, à prendre conscience des enjeux, à se laisser interpeller dans leur responsabilité de parents et de  pédagogues et à prendre les décisions qui conviennent. Ce parcours aurait pour but non pas « d'enseigner les valeurs » mais de permettre aux parents et aux enseignants d'entrer un peu plus profondément dans leurs rôles respectifs et de l'habiter avec bonheur.
Nous ferions vraiment œuvre utile si, en nous attelant à cette tâche, nous arrivions à transformer graduellement nos écoles, devenues trop souvent des « hubs de tension compétitive », en des « hubs de transmission de valeurs », sources d'harmonie sociale.

Chapitre IV

Attitudes requises pour une mise en œuvre du modèle initiatique

Avant de chercher les moyens à prendre, les stratégies pastorales à élaborer pour mettre en œuvre dans la société comme dans l'Eglise le modèle initiatique de transmission, il me paraît nécessaire de réfléchir ensemble aux attitudes que ce modèle nous invite à développer. Avant de nous demander d'entreprendre de nouvelles activités, la pédagogie de l'initiation nous entraîne d'abord sur un chemin de conversion.
En ce qui concerne l'Eglise, pour pouvoir initier à la vie de foi avec un minimum d'authenticité, les chrétiens sont appelés à se laisser renouveler eux-mêmes en profondeur par l'Evangile qu'ils veulent transmettre.
4.1. Etre attentif à la recherche spirituelle des personnes
La conversion demandée nous appelle d'abord à être plus attentifs à la recherche spirituelle des personnes. Au fond, toute personne est travaillée intérieurement par la recherche d'un sens à donner à sa vie ; toute personne est habitée par une soif, un désir de s'accrocher à des valeurs solides qu'elle voudrait vivre et partager. Cette soif intérieure est un signe que ces personnes sont déjà habitées par l'Esprit Saint. Durant sa vie terrestre, Jésus lui-même était attentif à cette quête intérieure des personnes. Par exemple, avant de proposer quoique ce soit aux disciples qu'il rencontre pour la première fois, Jésus leur demande, « Que cherchez-vous ? » (Jn.1, 38). Il s'intéresse à leur recherche, à la question qu'ils se posent. Et puis seulement il les invite à se mettre en route et leur dit « Venez et voyez ». (Jn.1, 39). Avant d'inviter des personnes à venir pour voir, il s'agit d'abord d'aller vers eux pour écouter. « De quoi discutiez-vous en chemin ? » demandait Jésus Ressuscité aux pèlerins d'Emmaüs. Et il les écoute longtemps raconter leur déception avant de leur partager son propre vécu.
Cette écoute préalable n'est pas seulement une technique pour aguicher des personnes. C'est plutôt une manière de les respecter dans ce qu'elles ont de plus personnel. C'est aussi une manière d'affirmer qu'elles peuvent apporter une contribution à la recherche commune des pèlerins que nous sommes. C'est en frères que nous cheminons. Et la solidarité fraternelle est un soutien essentiel pour sortir victorieux des épreuves inévitables d'un chemin initiatique.
4.2. Etre témoin avant d'être maître
Le Pape Paul VI disait : « On répète souvent, de nos jours, que ce siècle a soif d'authenticité. A propos des jeunes, surtout, on affirme qu'ils ont horreur du factice, du falsifié, et recherchent par-dessus tout la vérité et la transparence. Ces « signes des temps » devraient nous trouver vigilants. Tacitement ou à grands cris, toujours avec force, l'on demande : Croyez-vous vraiment à ce que vous annoncez ? Vivez-vous ce que vous croyez ? Prêchez-vous vraiment ce que vous vivez ? »(4)
Pour transmettre la foi ou pour transmettre les valeurs, le témoignage de vie est devenu une condition essentielle. Il ne suffit pas d'enseigner. « Les jeunes aujourd'hui écoutent plus volontiers les témoins que les maîtres. Et s'ils écoutent les maîtres c'est parce qu'ils sont aussi des témoins ».
Ce que les jeunes et les enfants ont besoin d'entendre de leurs parents, de leurs éducateurs, des prêtres, ce n'est pas d'abord l'énoncé de règles de conduite morale proposées par l'Eglise, comme, par exemple, l'obligation de la messe du dimanche, ou l'interdiction des relations sexuelles avant le mariage. Il faut bien sûr qu'ils connaissent ces règles et qu'on leur en explique le bien fondé. Mais ce qui les touchera, ce qu'ils n'oublieront pas, c'est le témoignage que leur auront donné leurs aînés. Parler par exemple de ce qui motive sa fidélité à la messe du dimanche, ou parler d'une sexualité vécue comme un langage d'amour fidèle et respectueux de l'autre, dire pourquoi on a refusé telle pratique frauduleuse, ou pourquoi on a entrepris telle action sociale, en un mot, rendre compte de l'espérance qui est en nous, est un des plus grands services que des adultes peuvent rendre aux jeunes. Le rappel de règles morales est nécessaire mais il initie ni à la foi, ni aux valeurs. Seule la foi vivante d'une personne invite une autre personne à croire, et l'encourage à se jeter à l'eau. Seul l'engagement d'une personne à vivre une valeur morale entraîne une autre à emboîter le pas.
Souvent, les parents ou d'autres adultes n'osent pas aborder ces questions avec les jeunes de peur d'être pris en défaut, et de perdre la face devant eux. Cependant, pour témoigner de ses valeurs morales ou de sa foi au Christ, il n'est pas nécessaire d'attendre qu'on soit devenu parfait. On risquerait d'attendre longtemps. Ce qui est nécessaire pour être témoin ce n'est pas d'être parfait, c'est d'être honnête et toujours en recherche. Parler de sa foi au Christ tout en reconnaissant sa difficulté à vivre cette foi dans la vie courante, touche beaucoup plus qu'on ne le croit. Car reconnaître ses tâtonnements et ses faiblesses permet de porter témoignage au pardon de Dieu qui nous remet debout, et nous donne le goût de repartir.
4.3 Promouvoir un climat de liberté.
La  foi se transmet toujours à partir d'un témoignage de foi. Cependant, à strictement parler, personne n'a le pouvoir de transmettre la foi. Le lieu où naît la foi échappe à notre contrôle. Cela se passe dans le sanctuaire intime de la conscience où chaque personne est libre. Dieu lui-même respecte profondément cette liberté. Autant il est important d'exprimer sa foi devant d'autres, autant il est vital de ne pas chercher à leur forcer la main. Il ne s'agit ni de convaincre, ni de conquérir. Il s'agit simplement de témoigner de l'amour gratuit de Dieu pour chaque personne. Si le moindre relent de manipulation ou de « forcing », vient se greffer sur mon témoignage, ce n'est plus de l'amour gratuit du Christ que je témoigne, mais je ne fais que manifester un prosélytisme étroit peu respectueux, et mesquin. L'attitude juste est bien exprimée dans l'Evangile par l'image du semeur (Mc. 4, 1-9). Le semeur sème gratuitement sur tous les terrains en sachant très bien que ces différents terrains n'accueilleront pas tous le grain qu'il sème. Il assume sa responsabilité de semer, mais il est conscient qu'il n'est pas en son pouvoir de faire germer la semence ou bourgeonner l'épi. Il continue de semer parce qu'il est convaincu que dans le cœur de chaque personne, il y a un coin de bonne terre qui est en attente. Et il croit profondément dans le formidable potentiel de transformation que le grain porte en lui et qu'il peut déployer quand il rejoint le coin de bonne terre en attente. Comme le semeur, le croyant qui témoigne du Christ doit être humble et patient. Et son humilité doit s'ancrer dans un respect profond pour la liberté de celui devant qui il témoigne. A l'image du Christ lui-même qui aimait dire à ceux qu'il invitait à le suivre, « si tu veux… ».
4.4. Se laisser évangéliser par ceux à qui on annonce l'Evangile.
Une autre attitude à développer pour que le processus de transmission, même s'il ne peut produire la foi, la rende au moins crédible, c'est l'attitude qui consiste à se laisser interpeller par ceux-là même à qui l'on transmet l'Evangile. Annoncer l'Evangile à quelqu'un ce n'est pas simplement lui apporter quelque chose qu'il n'aurait pas. C'est au contraire reconnaître en lui la présence de l'Esprit de Dieu qui le travaille de manière souvent surprenante. Jésus lui-même dans sa prédication a maintes fois mis en valeur l'exemple de foi donné par des personnes d'autres traditions religieuses. « Jamais je n'ai vu pareille foi en Israël », disait-il par exemple du centurion romain (Lc. 7,9). L'Esprit de Dieu nous précède dans le cœur et la culture d'une personne à qui nous souhaitons proposer l'Evangile. Il faudra toujours chercher à discerner en lui les traces de l'Evangile que je lui annonce, et l'inviter à reconnaître l'Esprit déjà à l'œuvre en lui.
4.5 Une vie communautaire joyeuse
Enfin, pour transmettre la foi et les valeurs qui vont avec, il faut avoir la possibilité de dire en toute vérité, « venez et voyez ». Les enfants, les jeunes ou les adultes qui sont en cours d'initiation doivent pouvoir non seulement rencontrer des témoins épanouis dans leur foi, mais aussi participer à une vie communautaire fraternelle. Ils ont besoin de sentir qu'ils sont soutenus dans leur recherche, que l'on prie avec eux et pour eux ; qu'ils peuvent être nourris par des liturgies vivantes et bien préparées. Ils ont besoin de voir comment la foi au Christ dynamise une personne et la pousse à s'engager au nom de la foi. L'initiation à la foi chrétienne se fait par mode d'apprentissage. Or, l'apprentissage présuppose, en plus du mentor, (le catéchiste ou l'éducateur), un milieu de vie chrétienne où l'enfant, le jeune ou l'adulte puisse voir se déployer la joie de croire, la joie de vivre comme des frères, la joie de célébrer, la joie de se donner pour le service des autres.

Chapitre V

Pour une fidélité créatrice

5.1. Etre créatif dans la transmission des valeurs
Ce passage au modèle initiatique, avec les conversions qu'il entraîne, est un enjeu considérable pour la transmission des valeurs dans la société aujourd'hui. Les récentes éruptions de violence, la recrudescence des vols, des braquages, sans parler de la corruption ambiante et du trafic de drogue toujours florissant nous interpellent. Nous ne pouvons pas nous boucher les yeux, ni rester les bras croisés. Il y va de la cohésion de notre société.
Heureusement, nous ne partons pas de zéro. Il y a des signes encourageants qui montrent que ce passage à un mode initiatique de transmission des valeurs est déjà entamé. Des expériences intéressantes existent et portent du fruit : par exemple, depuis plus de 40 ans, l'Action Familiale initie des couples à une manière de vivre la sexualité conjugale dans le respect de son ouverture à la vie, dans le dialogue et l'attention à l'autre ; plus récemment les cours d'EVA (Education à la Vie et à l'Amour) et les sessions « Youth Alive » invitent les jeunes à adopter un comportement sexuel sain, seul capable d'opposer une résistance à la menace du VIH Sida ; les groupes « Alcoolique Anonyme » ou « Young Pioneers » proposent aux jeunes et aux adultes un chemin qui les conduit à vivre heureux sans alcool, les centres de réhabilitation de toxicomanes comme le CATR (Centre d'Accueil de Terre-Rouge), le Centre de Solidarité ou le Centre Chrysalide proposent aux toxicomanes d'adopter un style de vie où ils ne sont plus dépendants.
Dans tous ces lieux, la pédagogie utilisée s'inspire de l'approche initiatique. Les valeurs sont transmises au cours d'un parcours qui donne aux jeunes et aux moins jeunes l'occasion et les moyens de choisir librement un autre type de comportement. Ces choix libres constituent le seul rempart qui puisse protéger efficacement notre société contre les ravages des fléaux sociaux. C'est pourquoi l'Etat, ainsi que les organismes privés qui ont à cœur la santé de notre société et qui en ont les moyens, ont la responsabilité de soutenir financièrement ces initiatives, et de les aider à se développer. Ce soutien pourrait aussi se montrer exigeant et insister sur la qualité de la pédagogie employée, et se préoccuper de la formation des formateurs.
Par ailleurs, l'Ecole des Valeurs Humaines fait aussi un bon travail de conscientisation aux valeurs dans les collèges secondaires.
5.2. Etre créatif dans la transmission de la foi
Le passage au modèle initiatique est aussi un enjeu considérable pour la transmission de la foi aujourd'hui. Il y va pour l'Eglise de sa capacité de faire ce pour quoi elle existe : transmettre l'Evangile comme Bonne Nouvelle pour les hommes d'aujourd'hui.
Heureusement ici aussi nous ne partons pas de zéro. Il existe dans l'Eglise plusieurs parcours de formation proposés aux jeunes et aux adultes, qui s'inspirent déjà de la pédagogie de l'initiation. Par exemple, pour les jeunes, nous avons le parcours « Pèlerins d'Espérance », ou le parcours dit « Groupe 40 » (étalé sur 2 ans). Je me réjouis aussi du nouveau parcours de Catéchèse « Talita Koum » pour les jeunes du cycle secondaire. Son approche existentielle est un formidable outil d'initiation pour notre temps.
Pour les adultes, nous avons les différents parcours de formation spirituelle, le parcours de formation des coopérateurs pastoraux, ou le parcours Groupe 40 pour adultes (étalé sur 1 an) ou encore le «  Cycle de préparation à l'effusion de l'Esprit », ou les cours Alpha. Ces initatives répondent aux besoins des personnes habitées par une soif spirituelle, mais qui, baignant dans la nouvelle culture pluraliste contemporaine, ont du mal à faire des choix libres qui les engagent.
Dans les paroisses également, la pratique se répand de proposer aux parents qui demandent le baptême pour leurs enfants ou qui les inscrivent pour la Première Communion ou la Confirmation, non seulement des réunions d'information et de préparation à la cérémonie, mais un véritable parcours de Catéchèse d'adultes qui s'étale sur plusieurs mois. Ce genre d'initiative est porteur d'avenir pour la transmission vivante de la foi et mérite d'être encouragé vivement. Il répond au besoin, souvent inavoué mais réel, des parents qui, au moment où leurs enfants se préparent aux sacrements de l'initiation chrétienne, s'interrogent sur la foi qu'ils veulent transmettre à leurs enfants. Ce moment est souvent un temps de grâce pour eux. Ils se sentent interpellés dans leur vocation même de parents, appelés à transmettre un héritage spirituel à leurs enfants. Mais ils sont souvent bien démunis et ne savent comment s'y prendre. Les parcours proposés répondent à leurs attentes et peuvent les aider à entamer un vrai chemin de croissance spirituelle.
Enfin, dans la majorité des paroisses, il existe des communautés de base dans les quartiers. Ces communautés sont des lieux tout indiqués pour promouvoir une catéchèse d'adulte. Cette catéchèse a le mérite d'exister dans bien des endroits. Mais elle s'essouffle souvent. Par contre, quand elle est simple, bien préparée et bien animée, elle permet aux adultes de vivre une vraie croissance spirituelle, de tenir debout dans la foi et d'assumer leur responsabilité de parents chrétiens et de citoyens responsables.
Le moment est venu, il me semble, de multiplier les échanges entre nous sur cette question de la transmission. J'invite donc les paroisses, les communautés religieuses, les services de formation, les mouvements à réfléchir en profondeur sur les enjeux fondamentaux de la pédagogie d'initiation et de la catéchèse adulte pour la transmission de la foi aujourd'hui. A la lumière d'une telle réflexion, paroisses, mouvements et services de formation pourraient se rencontrer et chercher ensemble les moyens d'une meilleure collaboration. Coordonner nos efforts est essentiel pour assurer aux parents ce service indispensable qui consiste à les « empower », les rendre capable d'habiter avec bonheur leur rôle de parent et de répondre ainsi à leur vocation de chrétiens dans le monde.

Conclusion

Durant ce Carême, je vous invite tous, chers frères et sœurs, à prier pour les familles mauriciennes, pour la société mauricienne et pour l'Eglise qui vit au cœur de cette société et cherche à la servir.
Prions l'Esprit Saint qui habite le cœur de chaque personne et demandons-lui de nous apprendre à être lucide, à garder les yeux ouverts, afin de mieux comprendre ce qui se passe autour de nous. Qu'il nous rende attentifs aux appels qui retentissent au milieu de cette nouvelle civilisation qui émerge.
Prions l'Esprit Saint et demandons lui de nous donner courage, de susciter en nous le dynamisme nécessaire pour relever le défi de la transmission en ces temps de rupture. Qu'il nous donne d'être assez humbles pour nous laisser interpeller et assez concernés pour nous engager personnellement d'une façon ou d'une autre.
Prions l'Esprit Saint et demandons-lui de nous apprendre à vivre l'espérance aujourd'hui. Le Pape Benoît XVI nous a livré une belle lettre(5) sur le sujet qui mérite d'être méditée longuement. Que l'Esprit nous donne d'être attentifs aux signes d'espérance qui éclairent notre route aujourd'hui et peuvent nous donner courage pour persévérer. Qu'il nous fasse découvrir surtout la présence de Jésus Ressuscité qui nous accompagne sur notre chemin.
Un temps de rupture est toujours déstabilisant, éprouvant ; mais l'expérience nous apprend que c'est aussi la saison de l'éclosion d'un temps nouveau. Ce temps s'avère fécond. J'ai confiance que le Seigneur saura faire jaillir dans notre pays, comme dans notre Eglise, un nouvel élan, une nouvelle solidarité entre nous pour relever le défi. Rappelons-nous la chrysalide. Il y a toujours un papillon qui veut éclore quand la coque commence à se briser.
 
1 - Ad Gentes, No. 14
2 - Cathechesi Tradendae, No. 44
3 - J.C. Reichert, Catéchèse pour temps de Ruptures, p. 11-12
4 - Evangelii Nuntiandi, No. 76
5 - Encyclique du Pape Benoît XVI : "Sauvés dans l'espérance" (2007)
Extraite du site du diocèse de Port-Louis Ile Maurice : www.dioceseportlouis.org

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